Le manifeste rédigé en 2017 a pour but de rassembler et de fédérer les acteurs autour des questions qui les préoccupent concernant l’accès au français pour toutes et tous. Point de convergence et de questionnement.
C’était / c’est un support pour aller plus loin. Il représente une étape de la réflexion collective et de l’expression des revendications que porte ce mouvement inter-acteurs.
Association, collectifs, équipe locale, permanence, centre social et socioculturel, délégation, fédération, ONG,
Citoyen·ne,
Élu·e,tout le monde peut signer le manifeste (signature en bas de page)
L’apprentissage du français par les personnes migrantes : un enjeu majeur de cohésion sociale
Depuis plusieurs années, nos réseaux associatifs dialoguent et prennent position sur la question de l’apprentissage du français, forts chacun de leur expérience en la matière. Nous avons ainsi développé une vision commune du sens de ces actions, organisées dans des conditions différentes mais représentant la « partie d’un tout plus global », à savoir une écoute, une présence, une relation qui s’installe avec les personnes désireuses d’apprendre le français, ou de mieux le maîtriser. Ces actions sont conduites par des salariés et des bénévoles, dans une démarche et une volonté communes d’émancipation des bénéficiaires pour un véritable accès à la citoyenneté.
Pour nos associations, l’apprentissage du français est au cœur de l’accompagnement dont les personnes migrantes ont besoin : un accompagnement global qui prend en compte et développe les différentes dimensions et besoins de l’être humain. Maîtriser la langue du pays d’accueil permet à l’individu d’exister en tant qu’« être social », c’est le premier pas vers sa vie de citoyen. Proposer un apprentissage du français à des personnes pratiquant une autre langue maternelle, c’est se mettre en capacité de répondre à des besoins différents, dans la vie personnelle et familiale, dans le quotidien et la vie sociale, dans la vie professionnelle ou la vie publique. Au-delà de la maîtrise de la langue, les activités d’apprentissage du français jouent un rôle important dans la construction du « bien vivre-ensemble » et le développement d’actions collectives. Les pédagogies mises en œuvre dans les ateliers sociolinguistiques conjuguent ainsi une proposition d’apprentissage au cœur de dynamiques collectives tout en proposant un parcours personnalisé s’adaptant aux besoins de chacun.
Pour nos différents réseaux, les actions d’apprentissage du français sont par conséquent un moyen et non une fin au service d’objectifs plus larges :
Promouvoir la place et la parole des personnes vivant les situations de précarité ;
Rendre chacun acteur de son propre développement ;
S’associer avec les personnes vivant les situations de précarité ;
Agir pour le développement de la personne humaine dans toutes ses dimensions ;
Agir sur les causes de la précarité et de l’exclusion.
Or, cette vision est mise à mal depuis plusieurs années par une inflexion sensible des politiques publiques. Depuis les années 1990, l’apprentissage du français est devenu un élément de la politique publique de contrôle de l’immigration. Il fait l’objet, depuis 2004, d’appels d’offre qui ont eu pour effet de confier les actions de formation à des grosses structures professionnelles en capacité d’y répondre, et de fragiliser les associations qui souhaitaient poursuivre leurs actions intégrant l’apprentissage du français comme un volet d’une action plus complète. De fait, les récentes directives de la DAAEN exigeant de réserver en priorité les actions d’apprentissage du français aux primo-arrivants mettent profondément en cause nos principes et objectifs. Ils dénaturent nos actions et les instrumentalisent au service d’une politique publique. Sous l’égide de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, par le biais d’appels d’offre dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, l’apprentissage du français est une question qui s’est ainsi peu à peu rétrécie à celle de l’acquisition d’un niveau de maîtrise minimum pour les personnes qui viennent d’arriver sur notre territoire.
Qui peut (veut) faire une évaluation des effets de cette concentration ? A-t-on gagné en efficacité ? N’a-t-on pas perdu en réactivité et adaptabilité ? Acteurs du secteur associatif non positionné sur la réponse à ces appels d’offre, nous n’avons pas d’éléments précis sur ces effets.
Mais nous constatons, aujourd’hui, que le tri des publics pour définir leur droit d’accès ou non aux offres de formation a pour effet d’en abandonner certains et de mettre les associations en concurrence. Nous constatons que le ciblage progressif des financements sur les primo-arrivants standardise l’offre associative, précarise les offres moins standard et affaiblit la dynamique associative. Nous constatons, enfin, qu’il n’existe que trop rarement une coordination locale des acteurs d’offres de formation au français, alors que c’est une condition indispensable pour la construction de parcours d’apprentissage adaptés à chacun, dans le souci d’une cohérence idoine d’une politique linguistique contextualisée, adaptée et pertinente à l’échelle des territoires.
Pour redonner à l’apprentissage du français son rôle majeur de cohésion sociale, nous demandons la révision des politiques publiques en la matière par le biais de quatre exigences majeures :
Affirmer un droit d’accès, sans condition, pour toute personne, à des actions d’apprentissage de la langue
Nous pensons que toute personne ayant besoin et/ou envie de perfectionner son maniement de la langue française doit pouvoir le faire. Réduire cet apprentissage à un préalable – l’acquisition d’un titre de séjour ou à un élément favorisant la recherche d’emploi -, c’est oublier le rôle social de la langue dans la sociabilité et l’acculturation du pays, dans l’accès aux droits et à la citoyenneté. Nous demandons par conséquent que l’apprentissage du français soit totalement déconnecté des conditions exigées pour la délivrance ou le renouvellement des titres de séjour.
Respecter la diversité des approches associatives en matière de formation à la langue
La logique des marchés publics, appliquée à une dynamique d’action éducative et sociale, appauvrit aussi bien le tissu associatif que les capacités d’évolution et d’invention de la société civile. Aussi, s’il est normal que les pouvoirs publics aient les moyens de déterminer les missions et les prestations qu’ils souhaitent voir développées, ils ne peuvent et ne doivent pas prétendre avoir le monopole de fixer ce qui est utile ou non pour les populations concernées. Un rééquilibrage des rôles respectifs de l’Etat et des associations est nécessaire. Il passera par un rééquilibrage entre les montants de financements publics attribués aux lauréats des appels d’offres et ceux accordés par des subventions aux associations et aux innovations sociales.
Se soucier de la qualité des actions menées
Attentifs à la qualité des actions que nous menons, nous nous proposons de contribuer à la définition d’une charte de qualité de nos actions d’apprentissage du français. Cette démarche doit être accompagnée d’un soutien aux organismes et associations de terrain tant pour leur fonctionnement régulier que pour les actions de formation continue auprès des salariés et bénévoles qui agissent sur le terrain. Nous, associations signataires de ce manifeste, demandons qu’un dialogue s’instaure avec les pouvoirs publics afin que ces principes soient pris en comptes dans la redéfinition d’une politique globale en matière d’apprentissage du français.
En signant, je déclare partager le point de vue exprimé par ce manifeste et le soutenir. J’autorise les rédacteurs à mentionner ce soutien dans la communication qui sera faite à propos de cette tribune.