Abordons quelques préjugés sur les personnes turcophones immigrées en France
Eric : Bonjour Emel, pourriez-vous d’abord vous présenter ?
Emel : Je m’appelle Emel, je suis Turque, maman de quatre enfants et professeure de turc. J’ai 40 ans. Je suis en France depuis 17 ans. J’ai commencé à apprendre le français en 2016.
Eric : C’est difficile d’apprendre le français ? Comment vous, vous avez fait ?..
Emel : Oui parce que entre le français et le turc il n’y a aucun point commun à part quelques mots. C’est une langue que nous ne connaissons presque pas en Turquie.
Comme nous ne sommes pas des enfants, nous n’arrivons pas à apprendre aussi vite. Dans cette situation, nous comparons la nouvelle langue avec la nôtre pour progresser.
Moi, au début j’ai travaillé à la maison. J’ai essayé de faire des démarches administratives. J’ai communiqué avec les francophones. J’ai lu, j’ai participé à des ateliers de loisirs pour entendre et pratiquer le français. Plus tard, je suis allée à l’université Nanterre pendant deux semestres, 6 heures par semaine. J’ai acquis les niveaux B1 et B2. Depuis cette date (2016), je ne vais plus aux cours classiques. Je participe à différents types d’ateliers. Cet article est d’ailleurs aussi une partie de mon apprentissage.
Eric : Avant, vous étiez professeure de turc : est-ce que c’est difficile, de refaire sa vie en France ?
Emel : Bien sûr ! Parce que je suis née et j’ai grandi en Turquie. J’ai fait toutes mes études là-bas. Ici, en France j’ai commencé de zéro. Je n’ai pas pu trouver ma place dans la société. Je n’ai pas pu exercer mon métier ici. Ce n’est pas impossible, mais il y a plein d’obstacles. (l’organisation avec les enfants, les conditions de travail entre les deux pays-comme je suis professeure de turc, il y a des conditions spécifiques -, l’interdiction du voile..)
Eric : Que viennent chercher les immigrants turcs, en France ?
Emel : Il y a différents profils d’immigrés. Une grande majorité d’immigrés turcs sont venus pour des raisons économiques. Ils veulent gagner leur vie tout simplement.
Un deuxième profil qui existe en France depuis très longtemps mais surtout après 2016 ( suite au coup d’état en Turquie !!!), ce sont des personnes qualifiées et diplômées. Elles cherchent la liberté et une nouvelle terre pour survivre et rattraper leur vie précédente.
Eric : On entend parfois dire que les Turcs sont communautaires, qu’ils restent entre eux. Qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que ça veut dire que c’est plus difficile d’apprendre la langue et de s’intégrer ?
Emel : C’est vrai Nous sommes une communauté assez protectrice et conservatrice. Nous sommes très attachés à nos cultures, nos valeurs. Comme toutes les nations et communautés voisines, finalement !
Mais le problème est que nous avons peur d’être assimilés ici. Parce qu’on arrive pas à distinguer la définition des mots ´s’intégrer ´ et ´ assimiler ‘. Les premiers arrivants étaient venus des petits villages. Beaucoup d’entre eux n’ont pas vécu dans une grande ville en Turquie. Ou même, ils n’en ont parfois jamais vu avant de venir ici. Ils se sont retrouvés directement dans une métropole, parmi les différentes nationalités, les différentes religions… C’est un mécanisme de défense et d’instinct de protection, et finalement pas mal de communautarisme !
Mais la nouvelle génération n’est pas pareille. Ils parlent le français, ils se marient avec les différentes origines… mais la réalité, c’est qu’ils s’éloignent de leur racines.
Moi personnellement j’ai la croyance en l’échange, la diversité et l’équilibre.
« Je suis comme un compas. L’un de mes pieds est stable sur mes propres valeurs ; avec l’autre pied je me promène dans 72 communautés (c’est une expression qui veut dire tout le monde)! » dit Mevlana Celaleddin Rumi. Il était pratiquant, il était très attaché à Dieu mais il n’avait pas peur. Il avait confiance en lui et il avait une foi très forte. Je pense comme lui. Chaque personne que je connais, chaque mot que j’apprends, chaque ville que je découvre………. je me sens plus forte, plus grande, plus riche….
Eric : Essayons d’aborder ouvertement un sujet piquant. On entend beaucoup parler de port du voile en France, surtout comme instrument de soumission par des hommes. Mais par ailleurs : que fait-on du droit de s’habiller comme chacun et chacune le souhaite ? Qu’est-ce que vous pensez de cette question sensible ?
Emel : C’est une question très importante mais très fragile aussi. Moi, je suis une femme voilée. C’est mon choix personnel. Ma famille surtout mon père n’a pas voulu que je sois voilée. Parce qu’à l’époque le voile était interdit dans toutes les écoles en Turquie même à l’université. C’était considéré comme un obstacle à l’éducation.
Eric : Et pourtant, en France cela rend difficile de trouver du travail, par exemple. Malgré que cela soit un choix personnel. Quel message vous voudriez passer aux personnes qui rejettent les voiles en général ?
Emel : Chacun doit avoir le droit de s’habiller comme il veut. La France est un pays laïque. Je le respecte sincèrement mais le voile n’est pas contraire à la laïcité. Je suis une femme laïque et je trouve que c’est un régime plus idéal que d’autres.
Chaque interdiction accouche de son propre ennemi /opposant. Avec ce genre d’interdiction on donne des raisons aux extrémistes. Interdire tout voile, cela enfermerait à la maison beaucoup de femmes, sous prétexte de les libérer.
Il ne faut absolument pas interdire, il faut une bonne gestion !
Imaginez qu’à l’inverse, vous soyez dans un pays musulman et obligé de porter un voile ! Ce serait inacceptable!
Eric : Qu’est-ce qui manque, en France, pour mieux aider à apprendre le français ?
Emel : Premièrement, un accueil et une orientation plus qualifiées.
Deuxièmement, que le cours de français soit accessible pour tout le monde, sans conditions, gratuit, un cours fait par des professionnels, pas seulement 2 heures, 4 heures par semaine.
Que les apprenants puissent travailler ou devenir bénévoles.
Eric : Quel souhait vous avez pour l’avenir des personnes qui migrent en France ?
Emel : Je leur souhaite de retrouver une nouvelle terre ici en France pour se ré-enraciner! Trouver un cours de français qui convienne à leurs besoins. Trouver l’équivalence des diplômes de leur pays !
J’ai encore une chose à dire.
L’apprentissage d’une nouvelle langue, surtout après un certain âge et après avoir vécu de mauvaises histoires chez soi, après avoir quitté son pays natal, sa patrie, obligatoirement et non pas par choix, après avoir perdu son passé (son éducation, métier, souvenir, tout ce que tu as jusqu’aujourd’hui…) cela requiert une forte motivation.
Avec quelle motivation allons-nous apprendre le français ?
-Nous savons que nous n’avons pas le droit de travailler (pour des personnes demandeuses d’asile)
-Nous savons que la France ne reconnaît pas notre diplôme, parce que nous ne venons pas d’un pays européen (mais si c’était le cas, pour quelle raison est-ce que l’on demanderait l’asile?)
-Nous savons que nous n’avons pas le droit d’exercer notre propre métier.
-Si nous attendons pour un cours de français pendant des mois
– Et qu’entre chaque niveau, il y a au moins 5 ou 6 mois de délai d’attente.
-Si les cours de français sont seulement une ou deux fois par semaine, 4 heures au total et fait par des bénévoles non-formés….
Avec quelle motivation Eric ? Je me le demande vraiment..