Favorisons la rencontre entre Soudanais.e.s et Français.e.s !
Eric : Bonjour Kariem, pourriez vous d’abord vous présenter ?
Kariem : Bonjour, moi c’est Kariem, et je suis en France depuis 7 ans.
Eric : Pourquoi êtes vous en France ? Que viennent faire les Soudanais en France ?
Kariem : Je suis venu en France parce que j’ai subi des persécutions ethniques au Soudan et que j’ai été déplacé de chez moi. Et une grosse majorité des Soudanais viennent en France à cause de la guerre qui se déroule depuis 2003 au pays.
Eric : Vous avez validé un très bon niveau de français, un niveau universitaire : le C1. C’est plus que ce qui est attendu pour la nationalité. Mais, comment vous avez fait ? Qu’est-ce qui est facile/difficile ?
Kariem : Moi depuis que je me suis retrouvé en France, j’ai voulu m’intégrer dans le pays ou je vis, et ça ne passe que par commencer à parler la langue de ce pays. Alors je me suis mis à apprendre le français. Comment ? C’est que j’ai eu la chance d’être pris dans le centre de français langue étrangère à l’université de Poitiers et j’ai fait 3 semestres, et c’était aussi grâce aux associations de bénévoles que j’ai fréquenté.
Et ce qui était difficile pour moi d’abord c’était de trouver où on apprend le français, trouver des bénévoles. J’ai dû attendre à peu près 3 mois avant d’en avoir un par la croix rouge. Et aussi de ne pas pouvoir m’exprimer et faire entendre ce que je veux dire, et puis de penser comme le professeur ou que dans les mots que je reçois de lui. En général dans mon apprentissage du français j’ai rencontré beaucoup de difficultés, mais avec la volonté et la persévérance on y arrive.
Eric : Cela peut donc prendre pas mal de temps j’imagine, pour se sentir à l’aise. La politique française voudrait obliger les apprenants à obtenir le niveau A2 (oral et écrit) en une centaine d’heures (600 maximum, classes OFII). Qu’est-ce que vous en pensez ?
Kariem : Je pense que ça serait très compliqué pour beaucoup d’étrangers et de migrants. J’ai rencontré des gens qui m’ont dit que leur objectif dans la langue française c’est de s’exprimer et pouvoir dire ce dont ils ont besoin quand ils vont au rendez-vous, et de pouvoir comprendre ce qu’ils doivent faire pour travailler. Mais pour écrire c’est compliqué.
Eric : Que représente la France, au Soudan ?
Kariem : Au Soudan , on voit la France comme un pays des révolutionnaires, parce qu’on prend tout le temps la Révolution française comme référence , et aussi comme un pays novateur. Surtout dans la fabrication des avions armés.
Eric : Plusieurs personnes m’ont parlé du choc culturel lié au changement de pays. Qu’est-ce qui pourrait être important de savoir, pour de prochaines personnes originaires du Soudan ?
Kariem : Oui, ça crée pour beaucoup un choc culturel, quand on ne connaît pas la culture de ce pays. Que ce soit dans la vie quotidienne (les salutations, ce que représente le respect) ou dans des moments spécifiques (invitation à un repas). Je trouve qu’au Soudan les gens sont plus sociables qu’en France ; au Soudan on peut dire à la même personne « salut » plusieurs fois dans la même journée, ce qui est rejeté ici en France. Et ici en France on peut s’inviter à manger au restaurant et que chacun paye sa part.
Ce qui m’a bousculé, c’est le fait de voir des couples s’embrasser dans la rue, le fait de devoir faire la bise le matin à tous les collègues. Le fait d’envoyer ses parents en maison de retraite : au Soudan, on garde les personnes agées dans la famille, il y a ainsi toujours quelqu’un pour s’occuper de lui ou elle, même si on travaille.
Ce qu’on pourrait faire :
– Avoir le plus d’échange possible entre les Français et les étrangers,
– Dans le formations, ne pas mettre beaucoup de nationalités différentes ensemble, et mettre au moins ceux qui parlent la même langue ensemble pour commencer. Et ensuite, les mélanger avec d’autres personnes. Et pourquoi pas avec des Français.
Eric : Est-ce que « s’intégrer », ça veut dire laisser de côté sa/ses cultures ?
Kariem : Non, mais on peut s’intégrer sans céder sa culture, je pense même que c’est une chance de devenir multiculturel.
Eric : Donc, si je comprends bien, cela veut dire que pour vous, une fois ce choc culturel et ces différences dépassées, les cultures peuvent s’enrichir, s’aditionner. Mais, c’est peut-être aussi grâce à ce qui nous relie ? Est-ce que vous avez un exemple de valeur, ou bien de point commun culturel avec le Soudan, qui facilite le fait de se sentir bien, en France ?
Kariem : Si je pouvais réduire ma réponse en un seul élement que je trouve en commun entre le Soudan et la France, ça serait le fait d’aider et s’entraider, la solidarité.
Eric : Qu’est-ce que ça veut dire pour vous, « devenir Français » ?
Kariem : C’est devenir solidaire avec toute sa nation et respecter la liberté de chacun.
Eric : Qu’est-ce qui pourrait permettre d’améliorer l’apprentissage du français pour les personnes qui arrivent ?
Kariem : Conseiller les apprenants de lire et d’écrire n’importe quoi, d’écouter la radio, de regarder la télévision, de partir à la rencontre des gens dans les milieux qu’ils trouvent intéressants ( sport, marché, café ).
Eric : En repensant à vos propres expériences, est-ce que vous avez une idée en particulier, de quels nouveaux accompagnements on pourrait imaginer ? Par exemple de nouvelles formations, de nouvelles choses pour bien accueillir ? Ou bien pour favoriser la rencontre avec des Français ?
Kariem : – Accepter d’accueillir les personnes qui ont des enfants (la contrainte de garde d’enfant).
– Mettre les apprenants en classe selon leurs niveau de scolarité.
– Avoir une personne qui parle la langue maternelle des apprenants.
Eric : Certaines personnes ont peur que les étrangers profitent des aides sociales, et ne travaillent pas. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de tricheurs, mais, des personnes m’ont raconté l’inverse : au Soudan par exemple, ce serait inacceptable de rester chez soi en gagnant de l’argent. Cette situation d’aide n’est pas forcément facile à vivre quand on a envie de travailler, de participer à la vie collective. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Kariem : Quelle aide ! Cette aide ne vaut rien par rapport à ce qu’apporte le travail si on parle de gagner de l’argent. Et en général les Soudanais qui sont à l’étranger que ce soit en France où dans d’autres Pays, ils n’aiment pas rester à la charge de la société et font souvent beaucoup d’efforts et travaillent plus dure que quand ils sont chez eux. Mais au contraire de cet aspect-là je trouve que c’est un profit pour la France, qui trouve une main d’oeuvre déjà instruite et qui est prête à travailler.
Je pense qu’il faudrait avoir une autorisation de travail pour les demandeurs d’asile pendant le traitement de leurs dossiers, comme en Allemagne par exemple, afin qu’ils puissent financer eux-même leurs propres besoins, et contribuent en même temps à payer les cotisations sociales au lieu d’être à la charge de la société, en conséquences ça aide à leur intégration. Les Ethiopiens ou les Erythréens qui immigrent au Soudan, ils apprennent l’arabe en travaillant.
Si on vient pour des raisons économiques, on ne reste pas à la maison !
Il faut voir le nombre de personnes diplômées qui ne trouvent pas de travail dans leur domaine, à cause de la langue française. Et Pôle emploi a tendance à renvoyer vers d’autres métiers, comme le bâtiment.